En ces tristes temps de tempêtes et d'inondations, tout le monde semble découvrir que des digues protègent une grande partie de notre territoire des agressions de la mer ou des
rivières.
Je me permettrai juste en préambule de remarquer que si on peut effectivement concevoir qu'un auvergnat ou qu'un parisien ne s'imagine pas que de nombreuses personnes vivent en dessous du niveau
des eaux à marée haute, il est plus curieux que les différents Préfets concernés, ou que l'Etat lui-même, ne soient pas au courant de cela... Ou fasse semblant de le découvrir ! Car j'imagine
aisément que les élus locaux, dont tout ou partie de leur commune est abritée par une digue, auront depuis longtemps sensibilisé leur Préfet sur l'importance que revêt l'entretien de
celle-ci. Mais comme chacun le sait, il n'est de pire sourd que celui qui ne veut pas entendre et en la matière, la surdité de l'Etat ne date pas d'hier et confine depuis toujours à
l'autisme...
Il faut dire que les 7000 kilomètres de digues qui protègent notre pays sont très disparates dans leur type, dans leur fonction, dans leur mode de construction et surtout dans appartenance. En
Aquitaine, ce sont 846 kilomètres de digues, dont 409 en Gironde, qui protègent 2 200 km2 et 120 000 habitants.
Une digue, c'est du béton, de l'acier, de la terre ou des rochers. Ou tout cela à la fois. Elle peut être verticale, inclinée, en forme de L, de T renversé ou en talus. On comprend
aisément qu'une digue maçonnée ou enrochée, si elle nécessite un entretien régulier, est aussi moins vulnérable qu'une digue en terre qui demande une surveillance de tous les instants. Et tout
dépend aussi de la fonction de la digue. Une digue battue chaque jour par les marées et la navigation sera beaucoup plus sollicitée qu'une digue qui canalise un ruisseau ou une rivière.
Mais le problème sans doute le plus délicat, concerne la propriété des digues, et du foncier sur lesquelles elles sont édifiées. Car si elles sont souvent construites sur des terrains
appartenant aux communes, aux départements ou à des établissements publics, il arrive aussi qu'elles soient bâties sur des terrains privés. Et leur entretien peut incomber à des collectivités
locales mais aussi à des associations ou des particuliers... Avec l'absence de moyens techniques et financiers qu'on imagine. On comprend aussi très vite qu'intervenir sur de tels ouvrages
devient passablement délicat, juridiquement et techniquement. Il y a ainsi en France environ un millier de propriétaires, publics ou privés... En Gironde, on estime que 20% du linéaire, soit
80 kilomètres, relèvent de propriétaires privés.
Sans compter le problème de l'accès à ces digues. Imaginez lorsqu'elles sont au bout du jardin d'un particulier... Celui-ci verra généralement d'un très mauvais oeil le passage d'une pelleteuse
de 20 tonnes sur ses plates-bandes !!! Je le sais car j'ai du, lorsque j'étais élu à Saint Louis de Montferrand, faire preuve de trésors de diplomatie pour convaincre certains riverains de la
Garonne de donner leur autorisation pour le passage des entreprises chargées de l'entretien et de la remise en état des protections au lendemain de la tempête de 1999... Ils étaient pourtant les
premiers intéressés à ce que les travaux soient réalisés !!! Et pourtant...
Pour autant, il ne faut pas croire que les digues qui appartiennent à des collectivités territoriales soient mieux entretenues. Bien souvent, les communes, rurales et de petite taille, n'ont pas
les ressources nécessaires à leur entretien, et encore moins à leur réhabilitation. A un niveau supérieur, les départements peinent à consentir l'effort budgétaire indispensable
pour entretenir des ouvrages qui sont, à première vue, moins vitaux que les routes... Par exemple, il y a quelques années, le Conseil Général de la Gironde consacrait un budget de
l'ordre de 150 000 euros par an à l'entretien des 32 kilomètres de digues autour de la presqu'île d'Ambes et lui appartenant. Il était à l'époque le seul partenaire qui daigne faire
quelque chose en la matière... Hormis le Port Autonome de Bordeaux qui soignait ses quelques kilomètres de digue à Ambes, et qui, à côté de cela, remblayait le fond de la Garonne à outrance,
histoire d'aggraver la situation des populations un peu plus loin... Mais une usine vaut bien plus que les quelques pékins habitant là, n'est-ce pas ? Depuis 2004, un syndicat mixte, regroupant
tous les acteurs locaux, a vu le jour, mais faute d'un financement réaliste, et sans la moindre aide de l'Etat, son pouvoir d'action reste beaucoup trop faible. Et j'imagine aisément que la
situation est sensiblement identique dans les Charentes Maritimes, en Vendée ou ailleurs...
Alors que faire ?
Sûrement réglementer l'urbanisation et la construction en arrière des digues et dans toutes les zones potentiellement submersibles. Avec suffisamment de discernement pour ne pas non plus
définitivement pénaliser les populations qui y vivent déjà. C'est chose faite avec les Plans de Protection du Risque Inondation ou PPRI. Mais avec le temps, le danger s'éloigne, les règles
s'assouplissent et la confiance qu'on peut avoir en la fiabilité des protections s'accroit. Jusqu'à la catastrophe suivante... Doit-on considérer que redeviennent constructibles les zones
protégées par des digues ? L'Etat semble considérer que oui, à condition de s'assurer de la pérennité des protections... Sauf qu'aujourd'hui, celle-ci n'est pas assurée. La faute à
qui ? Souvent à l'Etat lui-même.
Cependant, quelles que soit l'état des protections, il faut stopper rapidement la progression démographique dans ces zones. Mais vous pensez bien que la pression est forte. Entre les
promoteurs qui veulent vendre à prix d'or des maisons "les pieds dans l'eau", les élus locaux qui ont envie de voir leur commune s'entendre, et les gens qui souhaitent habiter au bord de l'eau...
Il y a aussi les communes en périphérie de villes plus importantes et qui offrent des logements à des prix abordables... Certains crient haut et fort qu'il y a toujours eu des maisons dans
ces endroits. Certes, mais nos anciens avaient la culture de la mer ou du fleuve. Et les maisons étaient conçues en conséquence, avec souvent peu de choses au rez-de-chaussée et les pièces à
vivre à l'étage. Ils savaient aussi vivre au rythme des marées et se protéger le cas échéant, à l'aide de bâtards d'eau par exemple. Autant de choses impensables aujourd'hui, avec notre confort
moderne et nos maisons de plein pied... Lorsque les médias nous parlent de marées exceptionnelles, ils oublient que des coefficients de 102, c'est tous les mois... Impossible d'imaginer que
des familles avec des enfants, dont les deux parents travaillent, souvent loin de leur domicile, acceptent de se protéger durant trois jours par mois...
On entend aussi, ici ou là, les riverains réclamer du rehaussement des digues.
Je crois que c'est à la fois illusoire, dangereux et utopique.
Illusoire car la tempête de 1999 et celle de février 2010 prouvent qu'on pourra toujours vivre un évènement d'une intensité supérieure à celle qu'on a déjà connue. Après la tempête de 1999, on
était persuadé que rien ne saurait être plus fort. Et pourtant... Décembre 1999, c'était des vents de nord-ouest qui ont atteint parfois 175 km/h, un coefficient de marée de 77, et une dépression
ayant atteint par endroits 940 hpa. En 2010, il s'agissait de vents d'ouest et sud-ouest à 140 km/h, un coefficient de marée de 102 et une dépression de 970 hpa. Et dont le centre
dépressionnaire est passé au nord de l'estuaire de la Gironde, épargnant quelque peu celle-ci.
Imaginons maintenant l'enfant qui pourrait être issu de l'union de Lothar/Martin (1999) et de Xynthia (2010)... Des vents de nord-ouest à 175, un coefficient de marée de 102 ou plus, et une
dépression de 940hpa... Je crois que tous les records seraient battus ! Et les digues, fussent-elles plus hautes d'un mètre seraient inévitablement submergées...
Dangereux car plus les digues seront hautes, plus leur submersion occasionnera de dégâts en l'arrière de celles-ci. Et un retour à la normale d'autant plus long qu'il y aura beaucoup plus
d'eau à évacuer.
Utopique car si les sommes qu'il faudra consacrer à la réhabilitation des digues sont colossales, celles qu'il faudrait mettre sur la table pour leur rehaussement seraient titanesques. Et
encore une fois, en pure perte.
Par contre, la préservation, coûte que coûte, des champs d'expansion des crues est absolument fondamentale. De même que les réseaux hydrauliques qui y affèrent. Car si on veut protéger au mieux
les riverains, il faut par contre accepter que l'eau puisse aller s'étaler dans des zones qui auront été préalablement définies, et même favoriser son entrée à ces endroits là. Mais cette
solution entre directement en concurrence avec les intérêts économiques, qu'ils soient agricoles ou industriels. Sur la presqu'île d'Ambes, les riverains et certaines municipalités ( pas toutes
malheureusement...) luttent sans merci depuis 20 ans pour que le Port Autonome cesse de remblayer les zones d'expansion des crues en vue d'accueillir de nouvelles entreprises... Mais c'est le
combat de David contre Goliath... Que peuvent quelques particuliers ou associations, face la toute puissance de Bordeaux, de son Port Autonome, et des intérêts financiers qui sont en jeu
?
Sarkozy nous promet un "plan digue" et exige un premier état des lieux dans les 10 jours.
En ce qui concerne Saint Louis de Montferrand, cet état des lieux existe. Il a été réalisé il y a quelques années, de façon très précise et minutieuse (inspection à pied de tout le linéaire
avec recensement des ouvrages de régulation, des fissures et autres anomalies, par la précédente municipalité et par l'association locale Vivre Avec Le Fleuve. Il demeure d'actualité à
quelques petits détails près, dans la mesure où quasiment rien n'a été fait depuis.
Pour le reste, gageons que chaque commune et chaque riverain connait parfaitement l'ouvrage qui le protège et que tous se feront un plaisir de communiquer leurs observations à l'Etat. Encore
faudra t-il, une fois de plus, que celui-ci prenne ses responsabilités et ne se contente pas d'un simple effet d'annonce qui n'aura que peu d'effet face à la prochaine tempête...
Malheureusement, j'ai bien peur qu'une fois de plus, lorsque les caméras de télévision seront reparties à Paris, les élus locaux se retrouvent en tête à tête, seuls avec leur
digue...